C’est ma première colo. J’ai 18 ans tout pile. Je suis contente d’être là, même si j’ai le trac.
Je suis animatrice.
Ils sont 8 dans 2 piaules. Ça fait juste 4 ou 5 ans qu’ils ont vu le jour, et on me les confie.
Je dois être grande.
C’est l’heure du premier inventaire. Moment crucial de découverte l’un de l’autre, moment où l’enfant se dévoile et l’adulte l’apprivoise.
C’est ton tour. Petit bonhomme tout blond de 4 ans, et un joli prénom pour jouer à faire des rimes. Et une fermeture éclair. Mais je ne le sais pas.
Sur le haut de ta valise, une pochette plastique avec les ptits trous pour mettre dans un classeur, toute tordue, plein de papiers dedans. En couverture, une écriture géante : « si prise en charge médicale d’urgence nécessaire, problème cardiaque ou anesthésie même locale, appeler d’urgence l’hôpital …» et un numéro de téléphone. Rouge. ROUGE
J’avais le trac. Maintenant j’ai peur : je n’suis pas sûre d’être assez grande.
Tu me regardes souriant : « oui, tu sais c’est pour ma fermeture éclaire les papiers. Regarde.» Tu soulèves ton maillot.
Je ne savais pas que c’était si grand un cœur d’enfant.
« Mais tu sais, je suis guéri maintenant ». Je ne suis pas encore rassurée.
Petites chaussettes et autres shorts trouvent leur place. Et la photo de papa et maman sur la table de nuit.
Je fais de mon mieux et je crois que tu vas bien.
La directrice me dit qu’elle savait. Je crois que j’aurais aimé ne pas le découvrir dans la valise, il me faudra un peu de temps pour en être sûre.
La vie de la colo se déroule. Je me souviens de pompons, de balais, de musique, de leurs tronches, de leurs sourires et de leurs prénoms. Je me souviens de tes lunettes jaunes aussi. On n’oublie pas les premiers.
Je suis bien dans cette vie là.
Et je me souviens des vautours. On se promène au parc animalier, dans l’enclos des vautours. Tu t’approches un peu trop près, le vautour a peur.
Toi aussi. Hurlement de terreur d’un enfant pas plus haut que deux vautours, ou trois pommes et demi.
Non. Pas d’un enfant. De toi. De toi, celui qui a une fermeture éclair et un numéro de téléphone rouge que j’ai appris par cœur.
Mon cœur à moi fait une pause et j’ai très chaud à l’intérieur.
Un câlin et des mots ont suffit. Tu avais raison. Tu as l'air d'être guéri.
Et je sais que je peux trouver les mots, même quand j’ai très peur.
Mais j’ai toujours eu le trac. C'est bon le trac.
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