C’est seulement aujourd’hui que je me rends compte, que ma Mémée a traversé deux guerres. Deux guerres toutes entières.
Deux guerres dont je ne me souviens pas avoir parlé avec elle.
Ma mémée, je l’appelais mémée Poule. Elle était de plus en petite et moi de plus en plus grande. Elle me disait toujours que j’avais encore grandi. Ma mémée m’a offert ma boite à couture, dont je me sers toujours. Elle est tout en vrac ma boîte à couture, et chaque fois que je l’ouvre je me dis que ça, ça ne lui plairait pas trop à ma mémée.
Ma mémée, je sais qu’elle regarderait ma jolie demoiselle, qu’elle n’a pas eu la chance de connaître, avec ses yeux bienveillants de mamie qui aime les aime les enfants, qu’elle l’appellerait « ma p’tite fille ». Un jour qu’elle avait un peu plus d’un an, j’observai ma tartelette en train de s’activer à sa table de dessin. Et j’ai vu ma mémée, elle lui ressemblait. Alors j’ai continué de la regarder en souriant.
Ma mémée, elle m’a appris des mots que j’utilise toujours, des mots que tu ne connais pas forcément. Le dvantio et le ramasse-bourrier par exemple. Ma mémée parfois, elle regardait par la fenêtre pour dire « ho, l’temps s’aberdaunit, y va cheu’n’r’napée ! ». Dans ce cas là, soit on restait au chaud dans la maison fraiche, soit on sortait les parapluies.
Ma mémée, elle habitait dans la maison où j’habiterai quand je serais grande avec mes sept enfants. Ou pas finalement. Cette maison là.
Ma mémée, je crois qu’elle serait contente de savoir le métier que je fais aujourd’hui, et qu’après mon dos cassé j’y suis arrivée. Qu’est-ce que j’aurais aimé pouvoir lui annoncer !
Ma mémée, elle s’appelait « hé dis donc », ou « es-tu là » quand c’est mon pépé qui l’appelait. Ma mémée a appris à lire à tout plein d’enfants, dont ma maman, son frère et ses sœurs. Ma mémée m’a appris à jouer au scrabble, et j’aime toujours autant les mots, les vrais. J’ai l’impression de contaminer ma fille.
Ma mémée enfin, je l’ai racontée à ma fille, comme mon pépé d’ailleurs. Du haut de ses trois ans un jour où l’on passait pas loin de chez eux, elle leur a envoyé des bisous prout. Pour les faire rigoler, parce qu’on ne doit pas trop rigoler souvent quand on est mort, m’avait-elle dit sans prononcer les R qui n’avaient pas encore trouver le chemin de sa toute petite bouche. Une autre fois ici, dans ma maison qui a elle aussi un escalier en bois et quelques recoins dehors, Amandine a couru en rond dans le jardin pour revenir s’asseoir près de moi. Elle m’a expliqué qu’elle pensait à Pépé et Mémée Poule. Elle les avait fait courir un peu parce qu’on doit pas courir beaucoup quand on est mort.
Bon anniversaire Mémée ! 100 ans c’est pas tous les jours.
On est un peu éparpillés tu sais, mais qu’est-ce qu’on pense à toi, à vous ! Et je sais que nous tous, ta famille, à la manière d’Amandine on te fait partager nos petits et grands bonheurs en pensant fort à toi, à pépé. Et il n’y en a pas un qui fait du vélo sans prendre pépé sur son porte bagage. Merci pour tout !